Données 2019
Julie et Christelle
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cas confirmés de femmes tuées par leurs (ex)-conjoints.
Julie Douib, 34 ans, est morte à l’Île-Rousse, tuée par arme à feu par son ex-compagnon, qui s’est ensuite rendu à la gendarmerie. Elle l’avait quitté cinq mois plus tôt, racontant à ses proches qu’il la frappait régulièrement, l’isolait socialement et la détruisait psychologiquement.
Christelle De Gaillande a été tuée à Perpignan, poignardée par son compagnon. Trois de ses enfants étaient présents dans l’appartement au moment du meurtre. Elle avait 32 ans et voulait le quitter.
Julie, Christelle, Ginette, Johanna, Stéphanie… des dizaines de noms, d’histoires, de femmes mortes. Certaines avaient quitté leurs compagnons, parfois depuis plusieurs années, d’autres avaient tenté de le faire. D’autres encore n’ont pas eu le temps de s’en libérer. Beaucoup d’entre elles étaient victimes de violences, comme 220 000 femmes par an en France.
L’AFP a cherché à comprendre, avec l’aide de psychiatres, responsables d’associations, gendarmes, proches de victimes de féminicides et femmes ayant été victimes de brutalités, pourquoi la violence extrême des féminicides perdure dans notre société.
cas confirmés de femmes tuées par leurs (ex)-conjoints.
En 2018, sur les 121 féminicides décomptés par le ministère de l’Intérieur, une minorité (20% environ) sont traités par les enquêteurs comme des assassinats, ce qui prouve que les circonstances jouent beaucoup dans le passage à l’acte.
Que l’acte soit prémédité, impulsif ou résultant de l’escalade de violences conjugales, lorsqu’une femme est tuée par son conjoint, l’expression “tombée sous ses coups” revient souvent. Pourtant, l’étude des modes opératoires des meurtriers révèle plutôt la prédominance de l’emploi d’armes, blanches ou à feu, ce qui montre la volonté de tuer. Les coups n’arrivent qu’au troisième rang des moyens employés par les auteurs de féminicides.
Lorsqu’ils évoquent les profils des auteurs de féminicides, les experts parlent de personnalités radicales, d’hommes avec une logique jusqu'au-boutiste. En 2019, plus de 40% d'entre eux se sont suicidés ou ont tenté de le faire après leur crime. La colonelle Karine Lejeune souligne qu’il y a des meurtriers "qui ne sont pas capables de supporter ce qu'ils ont fait et pour qui c'est un moyen d'échapper à leurs responsabilités”.
Pour les proches des victimes, la disparition de l’auteur du meurtre est souvent vécue comme une douleur supplémentaire. Pas de procès, pas d’explications, pas de réparation judiciaire, et un deuil souvent encore plus compliqué à vivre.
Immatures, parano, pervers narcissiques… Beaucoup d’auteurs de féminicides développent une dépendance extrême à leur couple et à la femme qu’ils fréquentent. De plus, une partie des hommes intériorise toujours, à des degrés divers, des stéréotypes sur la domination masculine et la place de la femme dans le couple.
Chez ces profils, largement partagés par les auteurs de violences conjugales, Roland Coutanceau souligne que “le contexte de séparation”, réelle ou crainte par l’homme “est un des facteurs de l’émergence de la violence conjugale”.
Les féminicides sont difficiles à prévenir. Roland Coutanceau, psychiatre, souligne l’importance des “signaux clignotants” qui peuvent annoncer un meurtre. Un harcèlement de plus en plus poussé de la part d’un ex-conjoint, le non respect par ce dernier de décisions de justice comme l’interdiction d’entrer en contact avec la victime…
Les féminicides commis sur des femmes victimes de violences conjugales, avant qu’elles n’aient pu dénoncer ces violences, sont encore plus difficiles à prévenir. Certains proches de victimes racontent n’avoir pas su à temps à quel point la situation était dangereuse. Au coeur des violences non dénoncées, le phénomène de l’emprise de l’homme sur “sa” femme joue un rôle déterminant, au point d'abolir progressivement leur capacité à dire “non” et à le quitter.
"Les gens me disent +moi, à la première claque je serais partie!+, mais quand la première claque part, c'est qu'il est déjà trop tard, le travail d'emprise est déjà là", explique Morgane Seliman, qui a subi les coups de son compagnon pendant quatre ans.
Militants associatifs, psychologues, enquêteurs ou anciennes victimes, tous décrivent le même processus, celui d'un couple où l'homme prend le contrôle de la vie de sa compagne, au point qu'elle ne cherchera plus à le fuir une fois les violences physiques installées au quotidien. Roland Coutanceau parle de certaines femmes victimes de “culpabilité subjective”, où les reproches du conjoint leur donnent l’impression que les violences subies seraient la punition pour de mauvaises actions supposées.
Beaucoup de survivantes expliquent également avoir eu du mal à se libérer d’un conjoint violent par peur de devoir lui laisser leurs enfants en cas de garde partagée. Tous soulignent la nécessité des dispositifs permettant aux femmes de prendre conscience de leur situation, puis de les accompagner pour en sortir.
Le moment de déposer plainte est un moment particulièrement redouté par les victimes de violences conjugales. Morgane Seliman raconte s’être un jour entendue répondre de “changer les serrures” lorsqu’elle a téléphoné à la gendarmerie pour dénoncer des violences de son conjoint. Après plusieurs plaintes infructueuses, elle rencontre un policier qui la “comprend” et l’oriente efficacement vers une association, un groupe de parole pour femmes victimes de violences conjugales. C’est pour elle le début de la sortie de l’emprise. Son histoire illustre les disparités dont expliquent souffrir les victimes dans la prise en compte de leurs plaintes.
S’il peut conduire à des prises en charge efficaces, où les victimes sont mises à l’abri et correctement accompagnées, le moment de la visite au commissariat peut aussi se transformer en une nouvelle épreuve et créer “une victimisation secondaire” de femmes qui ne sont pas prises au sérieux ou “déposent plainte mais n’ont pas les réponses pénales”, explique Françoise Brié, directrice générale de la fédération nationale solidarité femmes.
Comment empêcher les féminicides? Comment protéger les femmes des hommes violents? Un dispositif légal existe. Le fait de tuer son conjoint est une circonstance aggravante. Elle fait passer la peine maximale encourue de 30 ans de prison à la perpétuité.
Si les associations demandent des ajustements législatifs, notamment en intégrant à la loi plus de dispositifs de protection des victimes de violences conjugales, elles réclament surtout plus de moyens d’accompagnement, aussi bien des victimes que des hommes violents. Pour Lisa (prénom d’emprunt), une des quatre animatrices du collectif féministe “Féminicides par compagnon ou ex”, “tant qu'on ne prendra pas des mesures vraiment dissuasives contre la violence masculine, en suivant les hommes signalés, en soignant les hommes violents, on aura encore et encore des féminicides.”
Françoise Brié souligne elle la nécessité de “mettre les femmes au coeur de tous les dispositifs, pour qu’elles aient “un meilleur parcours dans leur sortie de la violence”. Elle préconise la création de “centres d’accueil spécialisés qui n’accueillent que les femmes victimes de violence” afin de permettre “un travail en collectif” des femmes victimes de violences et leur sortie de l’emprise du couple.
Enfin, toutes les associations demandent une meilleure éducation, dès le plus jeune âge, afin que les stéréotypes de domination masculine soient enfin éliminés de la société.
Dans le cadre de l’enquête menée par l’AFP sur les féminicides en 2019, plusieurs dizaines de dépêches ont été publiées. Les principales sont librement accessibles sur notre blog AFP Factuel.
Accédez au sommaire de nos articles sur la page d’accueil du projet.
Une question sur le décompte? Sur les cas écartés ou en attente? Consultez notre méthodologie.
Pour en savoir plus sur les histoires des victimes de féminicides recensées par l’AFP, consultez la page qui leur est dédiée.
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Ont été retenus les cas correspondant à la définition des féminicides par conjoint : la responsabilité directe de l’homme dans le décès de la victime et l’existence d’une relation intime en cours ou passée entre eux sont avérées ou sont la piste privilégiée par les enquêteurs.
Dans certains cas, pour lesquels l’enquête est encore en cours, le recueil d’éléments n’est pas suffisant pour classer les meurtres, de manière certaine, dans la catégorie des féminicides par conjoint. Ils ne sont pour l’heure pas inclus dans notre décompte.
Dans le cadre de l’enquête menée par l’AFP sur les féminicides en 2019, plusieurs dizaines de dépêches ont été publiées. Les principales sont librement accessibles sur notre blog AFP Factuel.
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